2. Champ d’application et conditions de validité

2.1 Typologie des projets concernés par la méthode

Le champ d’application de la méthode des effets est précisément marqué par la possibilité, ou non, de définir la situation alternative susceptible d’approvisionner la demande intérieure dans le même bien et en même quantité.

Pour plus de clarté, on va expliciter le champ couvert par plusieurs exemples concernant tout d’abord les projets proprement dits, c’est-à-dire non encore réalisés (évaluations ex ante), puis concernant les projets déjà réalisés (évaluations ex post).

Projets concernés par la méthode (évaluations ex ante)

Ce sont tout d’abord les projets dont la production peut faire l’objet d’un commerce international :
– soit que cette production vienne se substituer à une importation du pays à demande intérieure donnée (projet de substitution d’importation),
– soit que cette production soit exportée et ne touche donc pas la demande intérieure (projet d’exportation).

Vont entrer dans ce champ la majeure partie des projets industriels, par exemple (dans le cas général) :
– une cimenterie, en substitution d’importation,
– une brasserie, de même,
– un montage de véhicules, de même,
– la mise en exploitation d’une mine ou d’un gisement de pétrole, projet d’exportation,
– une culture industrielle, de même, etc.

D’autres projets relèvent à l’évidence de ces mêmes catégories, mais s’articulent doublement sur le commerce international ; ils vont être un peu plus complexes à étudier : ce sont les projets de valorisation de produits bruts antérieurement exportés.
Si le bien produit vient, par exemple, en substitution d’importation, il faudra diminuer les avantages du projet proprement dit pour tenir compte de la cessation d’exportation du produit brut.

On va trouver ainsi, par exemple :
– une filature-tissage qui va utiliser du coton local exporté, sans pour autant que la production de coton augmente,
– une usine d’engrais qui va utiliser des phosphates antérieurement exportés, etc.

Les projets de modernisation ou de changement de technique font également partie du champ couvert par la méthode des effets : dans la situation alternative, la demande intérieure est approvisionnée par les unités utilisant l’ancienne technique.
Ceci est clairement le cas, par exemple, pour :
– les modernisations d’unités industrielles,
– le remplacement d’une centrale thermique à fuel par une centrale à charbon,
– le remplacement des huileries traditionnelles par une huilerie industrielle, etc.

Mais un problème commence à être posé lorsque le produit nouveau est sensiblement différent du produit qu’il vient substituer : ce peut être le cas en agriculture (riz à la place de mil ou de sorgho), mais aussi en industrie (textiles et habillement modernes à la place de textiles et habillement traditionnels). Ce problème est étudié dans le paragraphe 13 suivant.
On peut remarquer que le champ ainsi défini pour la méthode des effets est strictement le même que celui défini pour les méthodes prix de référence.

< Étude des activités (évaluations ex post)

Les études d’activités vont pouvoir être effectuées d’une manière analogue à la précédente dans les mêmes domaines : il s’agit alors d’évaluations ex post.

La principale différence entre ces deux types d’évaluations tient au fait que :
– alors que dans l’évaluation ex ante on s’efforce d’imaginer la situation avec projet, sur la base d’une situation avant projet, souvent de même nature que la situation sans projet,
– dans l’évaluation ex post, la situation avec projet est donnée et il faut s’efforcer d’imaginer la situation sans projet, sur la base d’une situation historique avant projet.

Une deuxième différence apparaît alors, qui rend plus complexes les évaluations ex post :
– alors que dans l’évaluation ex ante, on raisonne naturellement (sauf exceptions spécifiées) dans un système de prix constants,
– dans l’évaluation ex post, on est immédiatement confronté au problème de l’évolution des prix courants.

En effet, la situation historique avant projet ainsi que les investissements initiaux sont décrits avec les prix de l’époque, tandis que la situation avec projet est décrite avec les prix actuels : pour faire l’étude, il va falloir disposer des indices de prix.
A ceci près, les domaines couverts sont les mêmes, et on pourra étudier en phase d’activité la cimenterie, la brasserie, l’usine de montage de véhicules, la mine, la production de pétrole, la culture industrielle, l’unité industrielle moderne, la centrale à charbon, l’huilerie industrielle, etc.
Ces évaluations ex post sont symétriques des précédentes : on les étudie comme des projets de cessation d’activité dans lesquels la référence est l’activité et le « projet » est l’importation de substitution, ou la cessation pure et simple de l’activité (en cas d’exportation), ou encore la mise en oeuvre de la technique antérieure.

< Projets non concernés par la méthode des effets

Ce sont donc les projets sans lesquels la demande intérieure ne peut être approvisionnée : il n’y a pas d’alternative au projet qui permette de satisfaire cette demande sans investissements nouveaux ; on ne peut plus raisonner à demande intérieure donnée avec et sans projet.

C’est le cas, par exemple, d’un projet de scolarisation générale des enfants, ceux-ci n’étant initialement que partiellement scolarisés. Il n’y a pas d’alternative en ce sens que, si le projet (ou un autre projet) n’est pas réalisé, certains enfants ne seront pas scolarisés ; on ne peut plus raisonner à demande intérieure donnée (d’enfants scolarisés) ; on ne peut plus appliquer comme précédemment la méthode des effets.
Certes, on pourra étudier et comparer entre elles différentes variantes du projet de scolarisation, mais on ne peut plus, comme précédemment pour la cimenterie par exemple, donner une appréciation du projet de scolarisation lui-même.
On va trouver ainsi dans cette catégorie de projets non concernés par la méthode des effets tout d’abord les projets dits « sociaux », du type :
– projets de formation et d’enseignement (sauf, dans certains cas, à pouvoir faire référence valablement à des formations à l’étranger – et l’on retrouve alors un projet de type: substitution d’importation),
– projets de santé (centre de santé, hôpital, campagne de vaccination ou de prévention, …).

Mais on va trouver également les projets d’urbanisme, de voirie urbaine, d’habitat, d’assainissement urbain, d’eau potable, etc., pour lesquels on ne peut définir une situation alternative équivalente.
Ainsi les projets échappent d’autant plus à l’approche des effets que la situation alternative que l’on peut imaginer apparaît artificielle ; ainsi pour les projets industriels, du type :
– projet d’électrification domestique,
– projet d’eau potable,
– projet de télécommunication, de télévision, etc.,
– il est difficile d’imaginer une alternative vraisemblable : on ne pourra pas alors appliquer la méthode des effets.

En revanche, dans certains cas, on pourra accepter des équivalences entre produits différents et retrouver une application possible de la méthode des effets : on pourra ainsi, par exemple, accepter des équivalences nutritives pour comparer des céréales différentes, type riz-sorgho.

< Remarque théorique sur la limite du champ couvert

Le champ couvert par la méthode des effets ne correspond ainsi :
– ni à la délimitation « projet productif – projet non directement productif »,
– ni à la délimitation « projet à production marchande – projet à production non marchande »,
car des projets de routes (non directement productifs, non marchands) peuvent être étudiés et des projets de type électrification ou télécommunications (en partie productifs, marchands) ne peuvent guère l’être.
Le clivage a trait à l’existence, ou non, d’une situation alternative susceptible d’être définie par l’analyste de projet : c’est le problème de la mesure des valeurs d’usage qui est posé, lorsqu’une telle situation équivalente ne peut être définie.
Dans la méthode des effets, ce problème de la valeur est renvoyé au stade de la détermination, en niveau et surtout en structure, de la demande intérieure : celle ci est déterminée de manière exogène dans le processus d’élaboration du Plan, et validée par les Responsables Politiques.

Ce problème de la mesure des valeurs d’usage n’est aucunement du ressort des analystes de projet : ceux ci ne peuvent travailler que sur des situations équivalentes, c’est-à-dire à demande intérieure donnée, sauf si l’on suppose que l’on est en concurrence parfaite et que les prix représentent convenablement ces valeurs.

2.2 Conditions de validité de l’analyse

Le champ d’application de la méthode ayant été ainsi précisé (existence d’une situation alternative), il reste à examiner les hypothèses sous-jacentes aux analyses et calculs présentés plus haut. Ces hypothèses sont relatives à un contexte général de sous-utilisation des capacités : capacités de production des unités industrielles existantes, sous-emploi de la main-d’œuvre locale.
Il n’est pas question de revenir ici en détail sur ces points , mais seulement d’en rappeler l’essentiel.

< Sous-utilisation des capacités productives

La remontée systématique des chaînes de production pour les consommations intermédiaires locales dans les situations avec et sans projet s’effectue (§1.1) très aisément si l’on dispose d’un Tableau-Entrées-Sorties (TES) à contenu d’importations.

De tels calculs ont cependant l’inconvénient d’être approximatifs, dans la mesure où :
– on utilise des coefficients de branche au lieu de coefficients de produits,
– on utilise des coefficients moyens au lieu de coefficients marginaux,
– on néglige les investissements d’augmentation de capacité éventuellement nécessaires.

Lorsqu’un problème est repéré (consommation intermédiaire importante, capacité saturée…), la solution de bon sens est évidente : on explicite la remontée de chaîne, et l’on prend en compte ainsi :
– les coefficients marginaux de production,
– les investissements complémentaires nécessaires.

Pratiquement, on peut ainsi constamment ajuster l’effort et le temps d’étude à la précision recherchée : on relâche sans problème le cadre général d’hypothèses de sous-utilisation des capacités chaque fois que nécessaire.

< Sous-emploi de la main-d’œuvre

Les comparaisons « situation avec projet » – « situation sans projet » telles qu’elles ont été présentées ne sont simples que si tous les effets sont pris en compte dans les structures alternatives des valeurs des biens ; autrement dit, ces comparaisons ne sont simples que si l’on est dans un contexte de sous-emploi généralisé de la main-d’œuvre.
Comme précédemment, lorsqu’un problème est repéré et que l’hypothèse de sous-emploi est infirmée, c’est-à-dire lorsque l’on peut spécifier la production d’une certaine main-d’œuvre, on fait entrer ce bien (produit dans la situation sans projet et qui cessera de l’être dans la situation avec projet) dans la comparaison à demande intérieure donnée : on tient compte ainsi précisément, par les productions perdues, de l’emploi alternatif éventuel.
C’est très généralement ce qui est fait dans les projets hydro-agricoles, lorsque l’on prend en compte les productions traditionnelles perdues du fait de la submersion des terres ou du fait des changements de spéculations.

2.3 Critères de rentabilité économique

Comme on l’a indiqué plus haut, les critères de rentabilité économique vont jouer un rôle différent selon que l’on se trouve dans une approche ponctuelle de l’évaluation d’un seul projet (problème, en particulier, des Organisations Internationales de financement), ou que l’on se trouve dans une approche systématique de programmation d’un ensemble de projets (problème des Organisations Nationales de Planification).

< Cas de l’évaluation d’un projet

Dans le cas de l’évaluation économique d’un seul projet par une Organisation extérieure au pays, il n’est pas possible de mettre en place une procédure documentée de discussions avec les Responsables Politiques, puisqu’on ne dispose pas d’analyses équivalentes sur d’autres projets.

On va donc s’efforcer de définir un calcul économique, ou plus précisément même, un critère d’évaluation économique qui :
– d’une part, permette de rendre compte globalement au mieux de l’intérêt du projet pour l’économie nationale,
– et d’autre part, soit suffisamment général pour que l’Organisation extérieure puisse effectuer des comparaisons avec d’autres projets dans d’autres pays et se fasse ainsi une idée de l’intérêt du projet, en quelque sorte dans l’absolu.

Ceci conduit à proposer un calcul coûts-avantages dans lequel :
– les avantages mesurent la contribution du projet à la croissance économique : l’analyse précédente (§1.2) conduit à retenir comme avantages la chronique des valeurs ajoutées supplémentaires créées par le projet en phase de fonctionnement, soit at pour l’année t,
– le coût mesure l’impact du projet sur la principale contrainte qui s’oppose au développement, c’est-à-dire la contrainte de financement : cette mesure est donnée par le coût d’investissement, soit I, si l’on suppose l’investissement réalisé en un an, l’année zéro.

Si l’on peut considérer que la chronique de production, (donc, généralement parlant, la chronique d’avantages) est approximativement constante et que la durée de vie escomptée pour le projet industriel est moyenne (de l’ordre de 10 à 15 ans), le critère le plus simple et le plus clair est celui de la valeur ajoutée supplémentaire par million investi, soit :

Si de telles hypothèses ne peuvent être raisonnablement retenues, on retiendra le critère du taux de rentabilité interne r, solution de l’équation :

L’expérience progressivement accumulée par l’Organisme de financement doit permettre d’établir, sinon une norme, du moins une fourchette de taux, au dessous desquels le projet doit être rejeté et au dessus desquels le projet doit être accepté.

Ces critères s’appliquent de manière identique à tous les projets entrant dans le champ de la méthode des effets (§ 2.2), à savoir :
– aux projets « nouveaux » de substitution d’importation, de modernisation, d’exportation (évaluations ex ante),
– aux projets en cours de fonctionnement (les activités) de même type (évaluations ex post).

La prise en compte des autres données fournies par l’analyse (répartition des revenus, structure de l’investissement, rentabilité financière, données qualitatives…) doit permettre de nuancer le jugement et de conduire à une décision raisonnable, tant en ce qui concerne un projet nouveau qu’en ce qui concerne le maintien ou la suppression d’une activité existante.

< Cas d’une programmation de projets

Dans le contexte de l’élaboration d’un Plan national de développement, ce sont l’ensemble des projets prévus qui doivent faire l’objet d’une évaluation, ces évaluations étant conduites suivant les mêmes règles, autant que faire se peut.
Il est alors possible d’ajuster la programmation au mieux des objectifs poursuivis par les Responsables Politiques : pour ce faire, on va procéder en plusieurs étapes, en privilégiant successivement les objectifs et les contraintes de différents niveaux :
– Le problème de premier rang est, d’une façon tout à fait générale, celui de la croissance sous la contrainte de financement. Sa prise en compte conduit à retenir une première programmation obtenue en sélectionnant les meilleurs projets au regard des critères précédents (valeur ajoutée supplémentaire sur investissement, ou taux de rentabilité interne tel que défini plus haut).
– Cette première programmation est présentée en termes concrets de projets précis aux Responsables Politiques, qui vont alors réagir en explicitant d’autres objectifs et d’autres contraintes de deuxième rang.
– Il va, par exemple, apparaître un problème de répartition régionale des revenus, la première programmation ayant retenu un ensemble de projets concentrés dans la principale région du pays.
– La prise en compte de cet objectif de répartition régionale des revenus va pouvoir être effectuée grâce à l’utilisation d’un autre critère de type : « revenus créés dans les régions défavorisées » sur « total des revenus », c’est-à-dire, valeur ajoutée supplémentaire.

Le remplacement progressif des projets retenus dans la première programmation les moins bien classés selon ce deuxième critère, par ceux les mieux classés, mais qui n’avaient pas été retenus initialement, doit permettre d’ajuster une deuxième programmation au mieux de ces deux objectifs de croissance et de répartition régionale.
– Un troisième problème peut alors apparaître, par exemple d’équilibre des finances publiques ; il conduira comme précédemment à mettre au point un critère de type : « revenu supplémentaire de l’État » sur « valeur ajoutée supplémentaire », puis à déclasser de la deuxième programmation les moins bons projets au regard de ce critère, et à les remplacer par les meilleurs, qui n’avaient pas été retenus en deuxième approche.
– Cette troisième programmation peut alors, à son tour, être modifiée à la marge pour prendre en compte un nouvel objectif ou une nouvelle contrainte, qui, jusque là, n’avait pas semblé essentiel, etc.

Au total, successivement par la mise en lumière des problèmes (par les Responsables Politiques, sur la base de la programmation précédente), puis par la mise au point des critères et des programmations correspondantes (par les économistes du Plan), on doit arriver à une programmation finale qui permette d’atteindre au mieux les objectifs progressivement précisés par les Responsables Politiques, dans le respect des contraintes qui s’imposent au développement.
C’est cette dernière programmation qui figure dans le Plan.

Suite:
3. Étapes opérationnelles de l’application de la méthode des effets