3. Étapes opérationnelles de l’application de la méthode des effets

Le schéma logique d’application de la méthode des effets suit le processus qui a été rappelé précédemment.
Le présent chapitre explicite les grandes étapes de l’application en s’appuyant autant que possible sur des exemples concrets.

3.1. Première étape : définition de la situation alternative

Plutôt que de revenir à un exposé général du type de celui proposé précédemment (§1.1), on va expliciter ici sur des exemples les différentes déterminations possibles de la situation alternative qui est la situation dans laquelle la demande intérieure est approvisionnée sans investissements nouveaux.
Ce sont les études de marché effectuées pour le projet (marché intérieur, marché extérieur) qui vont permettre de déterminer cette situation alternative.

< Projets de substitution d’importation

Ces projets sont très nombreux : en leur absence, la demande intérieure dans le bien produit par le projet est satisfaite par l’importation.

Il s’agit bien entendu de la demande à terme, et même s’il n’y a pas initialement d’importations, les projets d’extension des capacités de production pour satisfaire cette demande intérieure à terme entrent dans cette catégorie : en effet, faute de cette extension, le bien en question serait importé.

La situation alternative est définie en quantités ; par exemple :
– s’il s’agit d’une cimenterie produisant 500 000 tonnes, l’alternative est l’importation de 500000 tonnes de ciment de qualité équivalente.
– s’il s’agit d’une brasserie produisant 10 millions de bouteilles, l’alternative est l’importation de ces 10 millions de bouteilles, etc.

< Projets d’exportation

Ce sont les plus simples à étudier : l’alternative est de ne rien faire. Ainsi l’alternative à un projet de mise en valeur d’un gisement minier dont la production doit être exportée, c’est de ne pas exploiter ce gisement, c’est-à-dire de ne rien faire.
Il faut cependant garder à l’esprit une caractéristique tout à fait spécifique de ce type de projets d’exploitation de gisement (minier, pétrolier, forêt primaire…) : c’est qu’il s’agit d’une exportation de bien non reproductible, de bien de patrimoine.
Ce patrimoine est progressivement (et définitivement) exploité avec le projet ; il est maintenu intact sans le projet.
A coté de ces projets d’exportation de biens patrimoniaux, on va trouver un grand nombre de projets d’exportation de biens reproductibles, agricoles et industriels ; les projets de tourisme international relèvent également de cette catégorie.

< Projets de modernisation de technique

Entrent dans cette catégorie les projets dont la production va venir se substituer à une production antérieure (alternative) qui disparaîtra donc.
On trouve ici :
– les projets de changement de technique, les biens produits restant identiques ou presque (remplacement d’une centrale électrique à fuel par une centrale à charbon) ;- les projets de modernisation, pour lesquels les biens produits peuvent être assez différents (substitution d’un produit industriel à un produit artisanal) ;
– les projets d’amélioration d’infrastructure de transport entrent également dans cette catégorie, pour ce qui a trait à ce que l’on appelle le trafic normal et le trafic dérivé.

Dans tous ces cas, on raisonne à demande intérieure donnée (à terme) en quantités ; soit, en reprenant les exemples précédents :
– pour n Méga watt heures, pour le projet de centrale électrique ;
– généralement parlant, pour la même quantité de produit (si ces produits sont légèrement différents, il faut utiliser des coefficients d’équivalence) ;
– pour un trafic donné en quantité (ce qui est le cas, par définition, pour le trafic normal et le trafic dérivé), pour les projets d’infrastructure de transport.

< Les grappes de projets liés

En fait, dans de nombreux cas, les choses ne se présentent pas aussi simplement, et il va falloir combiner des projets (et des activités) du type précédent pour arriver à des situations avec projet et sans projet correspondant à une même demande intérieure.
Ainsi, si la production du projet ne peut pas donner lieu directement à commerce international, et si elle ne vient pas se substituer à une production locale de même type, il va falloir constituer une « grappe de projets » en associant au projet lui-même le projet de transformation aval qui conduit au bien international.

Par exemple, il va falloir :
– associer a un projet de culture du riz (riz paddy) le projet d’unité industrielle de décorticage (riz blanc) ;
– associer a un projet de culture de coton (coton-graine) le projet d’unité d’égrenage (coton-fibre) et, éventuellement, le projet d’huilerie (huile de coton).

Si ces productions sont destinées au marché intérieur, on raisonnera :
– à demande intérieure donnée (en quantité) de riz (blanc)
– à demande intérieure donnée (en quantité) de coton-fibre et d’huile.

Si ces productions sont exportées, on prendra directement en compte les exportations.
Enfin si, et c’est le cas général, les productions sont en partie consommées sur le marché intérieur et en partie exportées, on combinera en proportion les deux façons de faire précédentes.

De manière analogue, pour les projets de mise en valeur de produits bruts, il faudra prendre en compte, en plus du projet lui-même d’exportation ou de substitution d’importation, la diminution éventuelle dans l’activité d’exportation du produit brut.

3.2 Deuxième étape : analyse de la situation avec projet

La première étape a permis de définir à la fois les deux situations avec et sans projet, comme situations équivalentes du point de vue de la demande intérieure.
La situation avec projet est caractérisée par le projet (ou la grappe de projets liés) et par le contexte économique dans lequel il vient s’insérer ; son analyse va être menée en deux temps : l’étude du projet lui-même (ou de la grappe), puis l’étude de son insertion dans l’économie.

< Étude du projet

Il est évidemment essentiel que l’étude du projet lui-même ait été conduite avec tout le soin nécessaire : l’étude économique du projet n’a de sens que si cette condition initiale est remplie.
On supposera ici que cette étude de projet a été bien faite et que l’on dispose de l’ensemble des dossiers : c’est-à-dire de l’étude de marché, des études techniques (procédé retenu, type de matériel, localisation, organisation…), de l’étude financière.
En pratique cependant, compte tenu de l’importance de cette étape préalable, on s’efforcera de vérifier le maximum de points techniques et de contrôler les études financières : tout ceci est essentiel, mais n’est en rien spécifique de l’application de la méthode des effets.

De cet ensemble de données qui constitue le point de départ de l’analyse des effets d’un projet, on retient :
– le compte d’exploitation prévisionnel, ou la chronique de ces comptes, qui caractérise la phase de fonctionnement du projet,
– le dossier des investissements, qui caractérise la phase d’équipement du projet.

Dans le cas d’une grappe de projets liés :
– le compte d’exploitation prévisionnel de la grappe est obtenu en consolidant les comptes des différents projets liés ;
– les investissements de la grappe sont obtenus en ajoutant les investissements des différents projets liés.

Le compte d’exploitation prévisionnel (ou les comptes) doit être présenté sous forme de la comptabilité nationale, c’est-à-dire que l’on doit ventiler le chiffre d’affaires prévisionnel en deux groupes de postes : d’une part l’ensemble des achats de biens et services (les consommations intermédiaires), d’autre part l’ensemble des autres postes et le solde (la valeur ajoutée) .
D’une manière analogue, l’ensemble des investissements est ventilé en catégories de biens (travaux publics, bâtiments, machines…).

< Insertion du projet dans l’économie

Le projet s’articule dans l’économie grâce aux différentes consommations intermédiaires, qui vont elles-mêmes entraîner de nouvelles productions, des salaires, d’autres consommations, des importations, etc.
En pratique, le premier stade consiste donc à déterminer l’origine locale ou importée des différentes consommations intermédiaires.
En pays en voie de développement, la majeure partie des postes ne pose guère de problème :
– soit, parce qu’il est notable qu’il n’y a pas d’unité de production pour le bien considéré, et qu’il est importé ;
– soit, à l’inverse, parce qu’il y a des unités de production, et il est souvent aisé de savoir si elles fonctionnent à pleine capacité ou non ;
– soit, parce que par nature, le bien est local (électricité, travaux publics, eau, transports…).

Dans certains cas cependant, il pourra être nécessaire de mener une petite investigation supplémentaire soit auprès du promoteur du projet, soit auprès des professionnels de la branche pour déterminer l’origine du bien.
Le deuxième stade est plus technique : il consiste à ventiler la valeur de chacune de ces consommations intermédiaires dans leurs composantes primaires de valeur ajoutée incluse, d’importations incluses, de salaires inclus, etc.

C’est l’utilisation systématique de ces ventilations qui constitue une des caractéristiques importantes de la méthode des effets. Les ventilations des valeurs des différents produits proviennent de plusieurs sources qui sont explicitées au paragraphe suivant.

Si l’on se place dans le cas d’un pays qui dispose d’un Tableau Entrées-Sorties (TES) à contenu d’importations et qui procède de manière assez systématique à ce type d’évaluation de projets, on peut considérer que l’évaluateur de projet a initialement à sa disposition les ventilations suivantes :

1. Les taux inclus (valeur ajoutée, importations, salaires…) des différentes branches de l’économie ; ces taux proviennent directement de l’inversion de la matrice unitaire tirée du TES.
2. Les taux de droits et taxes pour les produits importés, tirés des documents des douanes.
3. Les taux inclus des principales sous-branches (électricité, produits pétroliers raffinés, transports routiers…) ; ces taux sont calculés à partir des comptes de sous-branches et des taux précédemment rassemblés en (1) et en (2).
4. Les taux inclus de rubriques couramment rencontrées dans les comptes d’exploitation d’entreprises industrielles (entretien, frais généraux, frais de déplacements…), et qui ont fait l’objet d’estimation, comme précédemment en (3).

L’évaluateur applique aux différentes consommations intermédiaires les taux de ventilation qui lui paraissent correspondre au mieux ; éventuellement, il procède à une remontée de chaîne, comme en (3) et (4), pour préciser la ventilation d’une consommation intermédiaire importante.

Le troisième stade de l’analyse de la situation avec projet consiste alors à dresser le tableau récapitulatif de ces ventilations, d’où l’on tire, en dernière ligne du tableau, la ventilation de la valeur de la production du projet.
L’exemple suivant d’une filature de coton permet de mieux expliciter ces derniers développements ; pour faciliter la lecture on a abusivement arrondi les chiffres, qui ne doivent donc pas être considérés comme significatifs.

Les notations sont évidentes : C.E.P. Compte d’Exploitation Prévisionnel,
Ii Importations incluses, VAi Valeur Ajoutée incluse, Si Salaires inclus.
Le coton, l’électricité, les services proviennent de la production locale et leurs valeurs sont ventilées avec les coefficients correspondants ; les produits chimiques et les pièces de rechange sont importés et supportent respectivement des taux de douane (sur valeur CAF) de 25 % et 33 %.

La situation avec projet est caractérisée par la structure de la valeur de la production du projet (1000) ; cette production est en définitive ventilée en :
– importations incluses (170)
– valeur ajoutée incluse (830), dont :
– salaires inclus (470)
– impôts inclus (110)
– revenus bruts d’entrepreneurs (250)

On procède à une analyse de même type pour les investissements correspondant à la situation avec projet.

Ces investissements regroupent :
– les investissements du projet proprement dit,
– plus éventuellement, les investissements des projets liés (grappe de projets),
– plus éventuellement, les investissements d’extension de capacité qu’il a fallu prévoir en amont pour l’approvisionnement du projet en biens intermédiaires.

3.3. Troisième étape : analyse de la situation sans projet

Cette étape de l’analyse est tout à fait analogue à la précédente: il va falloir, comme précédemment, analyser la structure de la valeur de cette situation alternative, équivalente en quantités en termes de demande intérieure.

Cette analyse est souvent beaucoup plus simple :
– pour les projets de substitution d’importation, l’alternative est donc l’importation, et il suffit souvent (aux frais d’approche près) de ventiler la valeur intérieure en importation CAF d’une part, et droits et taxes sur importation d’autre part ;
– pour les projets d’exportation, il n’y a pas d’alternative à analyser.
Pour reprendre l’exemple précédent, on va supposer que les tissus de coton produits viennent se substituer à des importations de tissus identiques, mis sur le marché national à un prix de 900 ; la production entraîne donc une hausse de prix de 100 (soit 11 %) ; le taux de droits et taxes est de 25 %.
On suppose de plus que la production de ces tissus ne vient pas diminuer les exportations de coton.
L’analyse de la situation de référence sans projet est simple ; la valeur de la situation de référence (900) se ventile en : – importation CAF (720)
– droits et taxes (180).

Restent cependant les projets de modernisation de technique, pour lesquels la situation alternative consiste en la satisfaction de la demande intérieure par la production avec l’ancienne technique.
Lorsque cette ancienne technique est une technique moderne, quoique dépassée pour une raison ou une autre (remplacement de centrales thermiques par une centrale nucléaire), l’analyse (ex post) de l’activité éventuellement condamnée ne pose pas de problèmes particuliers ; au contraire, il sera souvent possible de disposer de nombreuses informations qui permettront d’affiner l’analyse.
Lorsque cette ancienne technique est une technique traditionnelle (comme pour les projets d’aménagement hydro-agricole) ou une technique artisanale (comme pour les projets industriels de substitution), cette analyse est souvent beaucoup plus difficile à conduire, faute de données suffisantes sur ces activités ; en pratique il faudra parfois recourir à des enquêtes spécifiques pour améliorer son information.

Dans ces cas de techniques alternatives, on est conduit, pour analyser cette situation sans projet, à ventiler chacune des consommations intermédiaires dans ses composantes de revenus inclus et, en définitive, à dresser un tableau de ventilation analogue à celui présenté au paragraphe précédent.

3.4 Quatrième étape : calcul des effets nets

Disposant, pour une même demande intérieure, des structures des revenus pour les situations avec et sans projet, les effets nets du projet sur l’économie, en phase de fonctionnement du projet, sont obtenus très simplement en comparant ces deux structures.
Cette étape ne présente aucune difficulté : il suffit de dresser le tableau comparatif.
Pour les projets d’exportation, la solution est encore plus simple: les effets nets portant sur les revenus intérieurs sont identiques aux effets inclus de la situation avec projet, puisque la situation alternative consiste à ne rien faire.
Si l’on reprend l’exemple précédent, on obtient :

Rappelons que ces résultats sont fondés en cas de sous-emploi important de la main-d’oeuvre.

On tiendrait compte très facilement de l’indemnisation des chômeurs : c’est un transfert de revenus entre la caisse chômage d’une part, et les salariés au chômage d’autre part. Si le projet est réalisé, il faut retenir pour les salariés des salaires supplémentaires inférieurs du montant de l’indemnisation alternative, et corrélativement, un revenu supplémentaire du même montant (manque à dépenser) pour la caisse chômage.
L’ensemble des investissements déterminés en deuxième étape ainsi que leur ventilation, caractérise les effets nets du projet en phase d’équipement.

3.5 Cinquième étape : calcul économique

Une fois définie la caractéristique d’avantages (l’impact sur la croissance, c’est-à-dire la Valeur Ajoutée Supplémentaire – VAS) et la caractéristique de coûts (l’impact sur la contrainte de financement, c’est-à-dire le montant des investissements I), le calcul économique central de la méthode des effets ne présente aucune difficulté :
– soit que l’on calcule un simple ratio : VAS sur I
– soit que l’on calcule un taux de rentabilité interne à partir des chroniques de VAS et de I.

Le côté, par trop global, des précédents critères conduit à proposer de présenter, conjointement à ces taux, l’ensemble des caractéristiques du projet précédemment déterminées, à savoir :

– les données concernant le financement et la rentabilité financière ;
– l’analyse des effets par agent, en termes de revenus supplémentaires ; en particulier l’impact sur :
– les finances publiques,
– les revenus salariaux (emplois créés),
– la balance commerciale,
– les revenus par région ;
– les données qualitatives qui n’ont pu être prises en compte dans l’analyse précédente (impact social, impact sur la formation de la main-d’œuvre, sur l’environnement…).

Ces diverses données doivent permettre, dans le cas d’une évaluation externe, de nuancer la seule appréciation par le critère global, et, dans le cas de l’élaboration d’un plan, d’alimenter la procédure itérative de programmation.

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4. Informations nécessaires pour l’application de la méthode des effets