Article de Florence Beaugé, Le Monde du 31 décembre 2004

Marc Chervel, ingénieur en économie

LE MONDE | 30.12.04 | 13h20
Un combat permanent pour la justice.

La vie de Marc Chervel, mort d’un cancer, samedi 25 décembre, à l’âge de 72 ans, se confond avec son engagement pour des idées et des valeurs, et tout d’abord pour la justice, y compris au sein de l’armée française.

Le premier combat de cet humaniste, polytechnicien de formation, de culture protestante, a lieu en 1958, en pleine guerre d’Algérie.

Officier détaché, à sa demande, dans la région de Tiaret, à la tête d’une SAS (section administrative spécialisée), avec le grade de capitaine, Marc Chervel est relevé de ses fonctions au lendemain du 13 mai 1958. Ce qui lui vaut cette sanction ? Ses supérieurs ne le lui diront jamais en face. Chervel appren- dra seulement, par la bande, qu’on le soupçonne d’entretenir des contacts avec le FLN et de militer au sein d’un parti « antinational », autrement dit le Parti communiste.

S’estimant atteint dans son honneur d’officier, ce républicain convaincu demande la constitution d’un jury d’honneur. En vain. Il démissionne de l’armée en octobre 1964, mais, de cet épisode, il gardera une blessure à vie.

La suite de sa carrière professionnelle, Chervel la consacre aux pays en voie de développement. Faire triompher des politiques économiques qui soient au service du tiers-monde est son autre combat. Economiste, ou plutôt ingénieur en économie, cet homme de convictions élabore des ripostes aux diktats de la Banque mondiale et du FMI. Il est ainsi l’un des pères fondateurs de la « méthode des effets », une approche concrète de développement qui veille à ce que chaque projet, activité ou investissement dans un pays produise un supplément de valeur ajoutée et bénéficie à tous les groupes sociaux. Chervel consacrera à cette méthode plusieurs ouvrages et de nombreuses conférences un peu partout dans le monde.

En 2000, l’Algérie refait irruption dans sa vie. Chervel participe à sa façon au débat qui s’engage en France sur les exactions commises quarante années plus tôt par une partie de l’armée. Avec plusieurs officiers, en particulier le capitaine René Paquet, qu’il a connu à Tiaret, opposé comme lui à toute forme de torture, il publie un livre de témoignages, De la Résistance aux guerres coloniales. A un ancien chef d’état-major qui justifie les « excès » commis pendant la bataille d’Alger, Marc Chervel n’hésite pas à s’opposer publiquement et à rappeler sa propre conception de l’honneur de l’armée française. « Le lien entre son combat de 1958 et celui des années 2000, c’est sa fidélité constante aux valeurs républicaines », souligne René Paquet.

« C’était un homme courageux qui alliait la plus grande gentillesse à la plus extrême rigueur. Pour beaucoup d’entre nous, il aura été une sentinelle morale », témoigne de son côté Michel Levante, économiste de développement.

Florence Beaugé

Artticle paru dans l’édition du 31.12.04